Mannie Fresh Timeline

Alors que le monde entier découvre le Bounce rap avec le dernier album de Drake, je vous propose de revenir sur la carrière de l'un des pères fondateurs du genre, Mannie Fresh. Faites de titres sélectionnés (et commentés) par Jean-Pierre Labarthes, mixés par DJ Kesmo, voici une compilation de titres retraçant le parcours de l'homme sans sourcils, depuis la fondation de Cash Money Records jusqu'au XXIème siècle.

TELECHARGER "MANNIE FRESH TIMELINE"

Pour approfondir, voici un commentaire de Jean-Pierre Labarthe sur les morceaux clés de sa sélection :

DEVIL N ME (Mr. Ivan Feat. Mannie Fresh)

Mr Ivan est une des lucioles du label Cash Money tout juste naissant. L'histoire raconte que, conformément à la pochette de 187 WITH A HOCKEY MASK, Ivan se produisait sur scène le visage caché derrière ce masque de hockey à la blancheur immaculée - le manurhin en moins. Le concept sera judicieusement récupéré par The Last Mr Bigg. En fait, le MC alabamien désirait dissimuler la perte d'un œil provoquée par une balle sodomite. Entre appels au meurtre et autres félonies susurrés par la voix vocodée de Mannie Fresh déguisé en diable, « Devil N Me » traduit la forte influence de l'église sur les producteurs et emcee’s à cette époque. Les notions de Tentation, de Bien et de Mal nourrissent le flow incandescent de Mr Ivan. En gros, si le diable titille tes plus bas instincts c'est pour t'envoyer brûler en Enfer homie!

ROUND MY WAY (B.G. Feat. Juvenile)

Ici, Baby Gangsta alias B.G. croque les portraits des soldats d'Uptown regroupés en cliques disparates et armés jusqu'au dents. Géographiquement, Valence Street est le lieu névralgique de leurs exactions. La guerre des territoires fait rage. De jour comme de nuit, la police patrouille, elle a du pain sur la planche. Les flics sont violents, corrompus. Ça fleure la poudre de perlimkingpin, mais aussi la poudre à canon. Les rares soldats d'UTP qui échappent au feu nourri des AK, des 9 et autres M-11 se feront tôt ou tard interpeller et s'en iront croupir à Parish Prison voire à Angola. Certains pour le restant de leurs jours. En 1997, si tu souhaitais devenir un soldat de Nola honorable et respecté: Valence Street was the place to be !!

DRAG'EM N THA RIVER (U.N.L.V.)

L'émancipation féconde des côtes Est et Ouest poussent les labels locaux a réévaluer leur éthique. Le succès et l'argent attisent les ambitions, aussi les patrons des labels rap de la ville ont installé le débat sur le terrain glissant de la provocation. Il s'agit ici d'un des plus violents « diss » de l'histoire du rap à la Nouvelle-Orléans. Les poulains du label Cash Money, le trio U.N.L.V., accule le valeureux Mystikal (Big Boy records) dans le cordes du rap game et lui assène un coup brutal sous la ceinture. Mystikal répondra avec son mordant habituel via « Here I Go (Back From Tha River) ». Ici, le travail accompli par Mannie Fresh est magnifique. C'est ce beat qui décide Juvenile à signer le contrat qu'il refuse jusqu'alors. Dérouté de son ascension fulgurante par la perte d'un de ses membres, Yella Boyee, assassiné en cette même année 1996 dans de mystérieuses circonstances, U.N.L.V. va se muer en binôme tricard qui va utiliser l'essentiel de son énergie à tenter de récupérer les droits d'auteur de « Drag'Em N Tha River ».

I ROCK ICE  (Hot Boy$) – BLING BLING (Cash Money Millionaires)

Idiotisme parmi tant d'autres inventé par Lil’ Wayne pour désigner son pendentif doré, « bling bling » est devenu une expression qui fait désormais parti du langage populaire universel. Donc tout est parti de là, mais ce n'est pas tout ! Au grand dam des puristes, des militants hip-hop du Nord, les parvenus de Cash Money sont en train de commettre un crime de lèse-majesté. Lequel ? Celui de travestir l’éthique militante des pionniers de l'electro funk rap des années 80 pour se vautrer dans la gaudriole. Bien entendu, Cash Money n’a que faire des lamentations de ce cheptel de peines à jouir. Il est l'avenir du rap et compte bien s'en mettre plein les fouilles. Frères siamois du early bling rap, « I Rock Ice » et « Bling Bling » louangent l’arrivisme outrancier, placardent l'éclatante prospérité de ce concept rutilant qui va à tout jamais changer le donne.

FOLLOW ME NOW / U UNDERSTAND (Juvenile) – THA BLOCK IS HOT (Lil Wayne)

Mannie Fresh a toujours aimé varier les orientations musicales et les plaisirs. Tout naturellement, ses productions recrachent les influences tutélaires dont jouissent les musiques de sa ville, qu'elles soient jazz, funk ou bien rap. Les musiques des Caraïbes font depuis longtemps office d'architecture rythmique voire mélodique lorsqu'on évoque Professor Longhair, Allen Toussaint et les Meters. « Follow Me Now » repose sur un sample de Tito Puente, « U Understand » et « Tha Block is Hot » mixent bounce music et dirty fonk locale. Cette alchimie détonante emporte l'adhésion nationale puis internationale. Le mini tourbillon du succès s'est converti en ouragan. On ramasse les disques d'or et de platines à la pelle chez Cash Money. « Money is the root of evil » précise le Good Book. D'ailleurs le crew notoire des Hot Boy$ a implosé vu que Juvenile et Lil Wayne se sont découverts des ambition$ personnelle$…

WHAT DOES LIFE MEANS TO ME (TQ & Big Tymers) – BIG MONEY HEAVYWEIGHT (Big Tymers)

Il existe une similitude entre Baby Williams et le Général Custer. Sociopathe passionné de taxidermie, George Amstrong Custer mobilisait les cuisines pour empailler ses trophées de chasse pendant que ses soldats étaient réduits à manger froid. Custer enregistrait des records de désertions dans ses rangs. De son côté, Baby a beaucoup de mal a desserrer les cordons dorés de sa bourse. Du coup, Juvenile, Turk et B.G. sont partis. Le label a perdu ses stars. Lil Wayne, Big Tymers et quelques seconds couteaux ont (par pudeur ?)  ôté le bandana de soldat et font chauffer la gamelle. Le label cherche un second souffle. Pendant que Baby fait germer un énième tour de passe-passe sous son crâne glabre, un clubish hit tel que « Big Money Heavyweight » permet de patienter. Le loyal Mannie Fresh compte ses sous, il en manque. Il va bientôt faire les frais d'un remaniement pour le moins brutal….

FRONT BACK (T.I. Feat. UGK).

Octobre 2005. L'ouragan Katrina vient de ravager La Nouvelle-Orléans et le sud de l'Alabama. Déjà des mois que Mannie Fresh a splitté avec Cash Money en raison des mêmes divergences financières qui ont poussé les autres à décamper. Quand il ne réclame pas son dû, Fresh réactualise le classic « Front, Back, & Side To Side » qui figurait sur l'album SUPER TIGHT (1994) d'UGK. A l'origine le titre chapardait la boucle d'un titre des funky Meters dont Pimp C est un fan absolu. Onze ans plus tard, la boucle n'a pas disparu pour autant, elle structure la nouvelle version qui promotionne l'album KING de T.I. A cet instant, T.I. est en pleine bourre, il a été couronné « roi » à Atlanta mais n'oublie pas de verser 50 000 $ pour aider les victimes de Katrina. D'ailleurs le clip vidéo le montre en train d'exécuter la « shoulder lean », une danse peu subversive qui fait rouler des épaules, à l'opposé de la Trap dance qui fait s'agiter le croupion.

TALK SOME MO SHIT (Lil Phat Feat. Mannie Fresh) – ERRY THANG (Mannie Fresh Feat. Mouse On Da Track)

Le deal avec Def Jam (Jay-Z) en 2007 n'a rien changé à sa philosophie: Mannie Fresh est resté humble et singulier. Quand il ne produit pas les bolides du game (Rick Ross, Young Jeezy) Fresh s'en retourne mettre les mains dans le cambouis avec les rookies de Baton Rouge. Notamment Webbie, Mouse On Da Track et Lil Phat avec lesquels il entretient des relations privilégiées. Vu que Lil Phat vient de disparaître, « Talk Some Mo Shit » agit rétrospectivement… Party shit s'il en est, le titre prescrit sa thérapie « gangsta jig ». Pour tout dire, la « jig dance » est une secousse locale qui a biberonné la bounce de Nola. « Erry Thang » est issu du même tonneau. On y cultive l'art du rebond, y invente une alternative expressive et joyeuse au climat à jamais xénophobe et violent qui règne dans le Sud des États-Unis. #RIP #LILPHAT

illustration : Fouss & Hector de la Vallée